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Tunisie Telecom – Mauritanie : Chez Mattel, les affaires tournent bien, l’affaire tourne mal

L’affaire de la cession des parts de l’opérateur historique tunisien de téléphonie mobile, Tunisie Telecom, actionnaire majoritaire (51%) dans Mattel (premier opérateur de téléphonie mobile en Mauritanie), alimente de nouveau les débats. Depuis plusieurs années, l’opérateur tunisien, qui cherche à lubrifier ses finances en cédant ses parts dans l’entreprise tuniso-mauritanienne, se trouve englué dans une situation complexe avec ses associés mauritaniens à parts égales dans Mattel. 

En effet, personne n’aurait pensé un jour que Mattel, qui est une success story issue d’une joint-venture tuniso-mauritanienne, née comme un conte de fées, serait un jour objet de tiraillements internes et ballottée entre les deux hommes d’affaires mauritaniens que sont Mohamed Bouamatou, l’influent entrepreneur et président du Groupe Bouamatou SA (BSA) et Bechir El Hassen (Comatel), issu d’une famille  qui a une présence forte et active sur la scène politique mauritanienne et dans le monde des affaires.

En effet, en 2000, l’économie tunisienne est prospère et connaît un taux de croissance confortable qui lui permet d’envisager des investissements à l’international. Le secteur des télécommunications avait le vent en poupe et le pays précurseur en la matière en Afrique voulait saisir les opportunités qui s’y présentent. A cet effet, Mattel fut créée et devient ainsi la première société de téléphonie mobile en Mauritanie. Elle détient aujourd’hui un tiers du marché des télécommunications, derrière la filiale Mauritel de Maroc Telecom, qui avait pris le contrôle de l’opérateur historique du pays, qui disposait d’une vaste infrastructure fixe.

Après plus de 22 années d’investissement et de façonnage du paysage télécom en Mauritanie, Mattel est devenue l’un des principaux acteurs des nouvelles technologies de l’information en Mauritanie. L’entreprise compte aujourd’hui 70 agences, 300 employés et plus d’un million et demi d’abonnés.

La période difficile

Mais voilà qu’en 2010, l’un des associés, Mohamed Bouamatou, personnage entouré de polémiques et connu pour sa proximité avec l’environnement familial mafieux de Ben Ali, connaît des déboires avec le régime de Mohamed Ould Abdelaziz, alors chef d’Etat. Il est poursuivi par la Mauritanie qui lance un mandat d’arrêt international à son encontre. Bouamatou se réfugie d’abord à Marrakech. Il accueille un autre réfugié, l’ancien PDG de Tunisie Telecom, poursuivi en Tunisie et “chassé” par son personnel au lendemain de la révolution. Mais Bouamatou est déclaré persona non grata par un rare communiqué du ministère des Affaires étrangères du royaume du Maroc. Il quitte alors la ville ocre en direction de Marbella, l’autre épicentre de la jet-set européenne. Pendant dix ans, il restera en exil et ne retournera en Mauritanie qu’après l’abandon des charges contre lui par le nouveau pouvoir du président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.

Au cours de cette période, Bouamatou décide, du jour au lendemain, de fermer sa banque GBM pendant plusieurs mois, sans égard pour ses gros clients, dont Mattel. La banque s’autorise à séquestrer les avoirs des déposants, ce qui aurait dû entraîner un retrait définitif d’agrément, selon le FMI. Mattel ne recevra aucune compensation et ne percevra aucun intérêt. C’est aussi durant cette époque qu’il se sépare de plusieurs de ses actifs en Mauritanie, notamment dans le secteur du ciment et du gaz. Il utilise en même temps une partie de sa fortune pour alimenter une guerre médiatique contre le président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz.

Connu pour ses relations difficiles avec ses partenaires et sa propension à engager des procès à tout vent, Bouamatou n’hésite pas à poursuivre ou à menacer de poursuites tantôt Tunisair, tantôt Tunisie Telecom. Il partageait avec Tunisair une participation dans la compagnie Mauritania Airways dont il refuse de payer les 3e et 4e quarts du capital auquel il a pourtant souscrit, mais ne se prive pas d’engager un bras de fer avec la compagnie aérienne porte-drapeau tunisien. Il dépose une plainte contre Tunisie Telecom en 2016 et contre Mattel en 2017. La plupart de ces procédures n’aboutiront pas.

Pendant son absence de la Mauritanie, c’est le deuxième associé, Bechir El Hassen (Comatel), qui, à la sueur de son front, fait tout pour sauver Mattel d’une cessation d’activité et permet à la société d’économiser environ 30 millions de dollars qui se retrouvent aujourd’hui dans la valorisation offerte de 100 millions de dollars pour le rachat de Mattel. Cependant, Bouamatou digère mal le fait que Bechir El Hassen soit resté à Nouakchott et qu’il entretienne aussi des relations cordiales avec Tunisie Telecom, dont les dirigeants successifs ne cachent pas le caractère décisif des interventions d’El Hassen.

Les affaires tournent bien

A son retour en Mauritanie en 2020, Bouamatou s’entend avec les deux autres actionnaires pour engager un processus de vente de 100% du capital de la société Mattel. Néanmoins, il rejette toutes les offres de rachat, qu’elles proviennent d’Axian, ou de Telecel, ou d’Orange. Il semble que le développement et le redressement de l’entreprise aient aiguisé son intérêt pour la reprise de l’affaire, y voyant aussi l’occasion de retrouver une partie de son influence économique perdue pendant les dix années passées en exil. En effet, les affaires tournent bien et la société Mattel est désormais bénéficiaire et les résultats sur les deux dernières années atteignent les 10 millions de dollars.

Or, l’ensemble des offres reçues datent de plusieurs mois et ne tiennent pas compte de la progression de Mattel durant ces dernières années.

C’est dans ce contexte que Bouamatou propose le rachat des seules parts de Tunisie Telecom et lance une bataille contre son associé de Mattel, Bechir El Hassen, en vue de l’évincer de l’entreprise. Tunisie Telecom, qui cherche à se séparer de Mattel, semble s’aligner sur les manœuvres de BSA pour marginaliser et exclure l’autre associé. Les sociétés de Bouamatou se voient octroyer de nombreux privilèges, dont les plus importants sont tous les contrats d’assurances.

Un processus de vente qui tourne mal

Dans ces conditions, Bechir El Hassen a menacé d’aller en arbitrage en cas de cession de Mattel qui enfreindrait les accords entre actionnaires, y compris le processus de vente de 100% des actions.

Après avoir éloigné tous les prétendants au rachat de Mattel, BSA propose donc une offre contre Orange, dont le périmètre ne couvre que les actions de Tunisie Telecom, ouvrant la voie à des contestations. L’offre de BSA est financièrement moins intéressante car elle prévoit un paiement échelonné, mais Tunisie Telecom, contre le bon sens des affaires, s’aligne sur cette proposition de vente à échéances, malgré un risque de blocage et de contentieux dans la suite de la transaction.

Tout aussi surprenant, Tunisie Telecom se refuse de mobiliser la caution de bonne fin de 1 million de dollars reçue de Telecel, l’un des candidats malheureux au rachat de Mattel. Il faut dire que la garantie en question est émise par la GBM (banque mauritanienne filiale du groupe BSA).

Aussi, et plutôt de l’ordre des commérages destinés à justifier une cession urgente à BSA, une rumeur est agitée sur une prétendue nouvelle 4e licence mobile en Mauritanie. Or, depuis près d’un an, Tunisie Telecom a été officiellement informée par le ministre mauritanien des télécoms ainsi que par le président de l’Autorité de régulation mauritanienne que cette rumeur est fausse et sans fondement. En Mauritanie comme ailleurs, l’octroi de licences mobiles est strictement encadré par une réglementation et des procédures claires. Déjà en 2018, l’appel d’offres international pour un 4e opérateur n’avait obtenu aucun acquéreur pour ce pays de 4 millions d’habitants avec un taux de pénétration du mobile de plus de 150%. La sincérité de cette crainte est d’ailleurs mise en cause par le nombre de candidats qui se sont bousculés pour le rachat de Mattel, y compris BSA, et par la cession échelonnée qu’envisage aujourd’hui Tunisie Telecom.

La Mauritanie souhaiterait un compromis

Pour leur part, les autorités mauritaniennes souhaitent la recherche d’un compromis entre actionnaires et une solution globale à la cession de Mattel. C’est ce que rapporte notre confrère Jeune Afrique dans son édition du 28 mars dernier. Il faut noter que toute cession, pour être validée, devra être soumise au préalable à l’accord des autorités mauritaniennes.

N’est-ce pas là une occasion d’or pour Tunisie Telecom d’en saisir l’opportunité, plutôt que d’envoyer un émissaire à Nouakchott pour informer les autorités que Tunisie Telecom s’apprête à organiser un passage en force au seul profit de BSA. Pourquoi s’entêter dans un processus qui n’apporte rien de positif ni sur le plan financier, ni sur le plan de la sécurité juridique, encore moins sur le plan stratégique sous-régional?

L’on est en droit, aujourd’hui de se demander ce qui motiverait l’empressement de Tunisie Telecom à précipiter une décision de vente au profit de Bouamatou SA, alors que le processus est à l’arrêt depuis près d’un an, justement du fait des risques juridiques et financiers du montage proposé, qui entre-temps n’ont pas changé?

Comment expliquer que l’opérateur tunisien n’a engagé aucune plainte contre BSA pour perte de chance, après que Bouamatou a rejeté les offres successives émises par des opérateurs internationaux intéressés par le rachat de Mattel et, à chaque fois, après des mois et des mois de négociations?

Pour quelles raisons Tunisie Telecom refuse-t-elle les conseils de ses banques d’affaires qui recommandent clairement une solution consensuelle entre actionnaires, l’unique option susceptible de prémunir contre un rebondissement fâcheux à l’avenir et un enlisement judiciaire?

Pourquoi manquer d’ardeur pour exiger une revalorisation du prix de cession sur la base des performances récentes de Mattel? Une telle défaillance serait d’autant plus troublante qu’inquiétante, lorsque BSA chercherait à se faire une plus-value auprès de l’un des acheteurs étrangers dont elle est proche, en empochant au passage le manque à gagner de la partie tunisienne.

Il est à craindre que intérêts tunisiens dans cette affaire, tels qu’ils ont été clairement définis par la Carepp, ne se retrouvent bradés, et par-delà Tunisie Telecom embourbée dans des contentieux inextricables.

Enfin, on se demande si les décisions de Tunisie Telecom sont fondées sur une analyse objective de la situation et des intérêts de l’entreprise publique qu’elle est, ou si elle se soumet à quelque pression, externe ou interne, dont on ignore le ou les véritables tireurs de ficelles. Affaire à suivre.

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